Pour Thierry Desaules, auteur du livre "Indochine, l'ombre des mots", ce groupe de rock est "un des seuls en France à s'adresser à trois générations de publics", sans avoir pris une ride.
Propos recueillis par Ludmilla INTRAVAIA - le 03/06/2009 - 05h24
Mis à jour le 03/06/2009 - 12h17
LCI.fr : Indochine a connu un succès fulgurant, dès 1982, avec le titre L'Aventurier. Pourquoi cet engouement, alors que, d'après votre livre, le groupe savait à peine jouer?
Thierry Desaules, journaliste : Je l'explique par les mélodies simples et efficaces du groupe. S'il est vrai, qu'au début, Nicola Sirkis chantait plutôt faux et que seul un des musiciens, Dominik, avait suivi une formation de guitare, Indochine a avancé cahin-caha. Une boite à rythme, trois accords de guitare et des textes à la fraîcheur très BD contrastant avec les chansons protestataires de l'époque, comme celles de Téléphone, par exemple, ont su séduire un public adepte des ses refrains entêtants.
LCI.fr : Sans compter les thèmes provocateurs de leurs chansons qui ont fait la popularité du groupe auprès des jeunes, pendant toutes les années 80...
T.D. : Nicola Sirkis s'est rendu à Londres, en 1984, où il a été influencé par le rock anglais de Soft Cell, Depeche Mode ou The Cure. Dans ses textes, il parle de l'adolescence, de la découverte de la sexualité et des crises identitaires qui en découlent, à une époque où, malgré la révolution sexuelle, il était encore difficile de s'exprimer sur de tels sujets. Avec Indochine, on se décomplexe, on peut s'habiller et se maquiller comme on veut, sans que cela soit pervers, on peut être homosexuel ou androgyne, sans que cela soit une tare. Tout est permis.
LCI.fr : Une liberté de ton étonnante pour un artiste élevé, en Belgique, dans un pensionnat catholique, au début des années 70...
T.D. : Nicola Sirkis vient d'une famille où l'on pouvait parler de tout. Placé dans un établissement jésuite, lors du divorce de ses parents, il a beaucoup souffert des interdits de cet enseignement. Ce fut une période extrêmement dure pour lui. De cette expérience lui vient, sans doute, cette volonté de faire voler en éclats les tabous que l'on retrouve dans toute son œuvre.
LCI.fr : Quelles furent les causes de la traversée du désert d'Indochine, dans les années 90
T.D. : Plusieurs membres ont quitté le groupe, notamment Dominik, le compositeur de la musique. Cette dernière rupture fut difficile. Nicola Sirkis qui demeure le seul membre restant de la formation originelle s'est, lui-même, mis à la composition et a fait appel à des musiciens additionnels avec lesquels il y a eu des mésententes. La mode était au grunge avec des groupes comme Nirvana, très différents d'Indochine qui se cherchait à ce moment-là et qui n'était pas vraiment soutenu par sa maison de disques, plus motivée par la promotion des boys bands, populaires à cette époque.
LCI.fr : Vous observez, dans votre ouvrage, qu'Indochine a, néanmoins, toujours conservé une base indéfectible de fans. Comment expliquez-vous cette fidélité?
T.D. : Par l'histoire d'amour entretenue entre Nicola Sirkis et son public. Avant le retour du succès, avec l'album Dancetaria, en 1999, et la renaissance du groupe avec l'album Paradize, en 2002, on avait l'aird'un con, si on avouait être fan d'Indochine. Mais, pour ses admirateurs, envers lesquels Nicola Sirkis a toujours été très attentionné, que le groupe ait du succès ou pas, peu importe. On suit le mouvement, quoi qu'il advienne. Nicola Sirkis est, pour eux, un être extrêmement charismatique, apprécié pour sa capacité à n'avoir jamais abandonné ses idéaux. Indochine fait partie intégrante de lui et ça, les fans, souvent très exclusifs, le sentent et l'apprécient.
LCI.fr : A bientôt 50 ans, le 22 juin, certains détracteurs le taxent d'adolescent attardé...
T.D. : Faire du rock permet de rester un adolescent. Mais pas un ado attardé, plutôt un éternel adolescent, toujours en phase avec son public. Indochine est ainsi un des seuls groupes en France à s'adresser à trois générations de publics, sans que ses propos aient vieilli, sans qu'ils soient devenus ringards. Nicola Sirkis veut rester jeune d'esprit, ne pas devenir un vieux con. C'est très étrange d'observer, en concert, des gamines de 14 ans, en pleurs, face à leur idole, des adolescentes dont Nicoala Sirkis pourrait être le père et dont les propres géniteurs sont souvent plus jeunes que lui.
LCI.fr : Il n'a d'ailleurs pas hésité à attiser la flamme de ses fans, en posant nu pour la campagne de la tournée d'Indochine qui débutera en octobre 2009...
T.D. : Nicola Sirkis n'a pas froid aux yeux. Il a toujours voulu surprendre, comme ce fut encore le cas, avec la thématique sur la guerre 14-18 de son dernier album, La République des Météors, sorti récemment. Il est, par ailleurs, un homme cultivé qui lit beaucoup et s'intéresse à l'art contemporain.
LCI.fr : Comment voyez-vous le futur d'Indochine ?
T.D. : A son âge, Nicola Sirkis est plus proche de la fin que du début. Mais s'il n'a jamais caché son désir de devenir romancier, je ne le vois pas arrêter la musique maintenant. Il ne deviendra écrivain que quand il ne pourra plus faire de rock.